Introduction
Avec La Tendresse des hyènes, le 18ème tome de Samurai, la série fête ses 20 ans et poursuit son exploration du Japon féodal entre scènes spectaculaires et émotions intimes. Loin de s’essouffler, le duo formé par Jean-François Di Giorgio au scénario et Cristina Mormile au dessin semble plus complice que jamais.
© 2025 Soleil - Cristina Mormile - Di Giorgio Jean-François - Samurai T18 Couverture
Nous avons eu le plaisir d’échanger avec Cristina et Jean-François, qui reviennent sur les coulisses de ce nouvel album, leur passion pour le Japon, l'évolution graphique et la richesse d’une collaboration artistique construite sur la confiance et l’écoute.
Entrez dans l’atelier de ces auteurs aussi minutieux que passionnés.
Interview
1. Le tome 18 de Samurai est enfin disponible. Quelles thématiques ou émotions avez-vous voulu particulièrement mettre en avant dans cet album ?
En tant que scénariste, Jean-François Di Giorgio (JF) choisit les thèmes à développer.
En tant que dessinatrice, je me concentre davantage sur les émotions des personnages. J'aime essayer de les faire surjouer, un peu comme au théâtre.
© 2025 Soleil - Cristina Mormile - Di Giorgio Jean-François - Samurai T18 P.4
Comprendre l'émotion à travers les gestes, avant même de lire le texte dans les bulles, devrait permettre au lecteur de s'identifier davantage à l'un ou l'autre personnage.
En définitive, c'est plaisant d'éprouver de l'empathie, même envers les personnages les plus détestables.
2. Y a-t-il des scènes ou des planches particulièrement complexes ou exigeantes à réaliser dans ce tome ?
Pour moi la double planche 42-43 a sûrement été la plus difficile à réaliser, point de vue dessin.
Dans le scénario de JF cette scène devait montrer une bataille impressionnante, et rendre la double page équilibrée et en même temps riche en soldats et action, ça a été un défi nouveau!
Le pire ça a été d'encrer les petits soldats un par un avec le pinceau 00! Ça m’a tué!
Maintenant j’ai officiellement besoin d’une semaine de vacances! 😁
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© 2025 Soleil - Cristina Mormile - Di Giorgio Jean-François - Samurai T18 P. 42-43
3. Quelle sont vos planches préférées dans cet album ?
Mes pages préférées sont la 5 (aussi grâce aux merveilleuses couleurs de Lorenzo) et puis la double 42-43 dont je viens de vous parler , bien sûr!
© 2025 Soleil - Cristina Mormile - Di Giorgio Jean-François - Samurai T18 P. 5
4. Comment votre dessin a-t-il évolué depuis vos débuts sur la série ? Avez-vous expérimenté de nouvelles techniques ou approches graphiques dans ce tome ou les précédents ?
Au tout début j’ai essayé de me rapprocher du style de mon prédécesseur, Frédéric Genêt*, pour essayer de donner une continuité graphique à la série.
*Note : Frédéric Genêt était illustrateur pour la série jusqu'au tome 9. C'est Cristina qui reprends les dessins à partir du tome 10 en 2015. Extrait T.9 >
Pour ça, j’ai initialement essayé de travailler à la plume, parce que cela donne un petit côté nerveux au dessin mais ça a été un véritable désastre.
Mon style perso était trop différent du sien.
© 2025 Soleil - Frédéric Genêt - Di Giorgio Jean-François - Samurai T9 P.3
© 2025 Soleil - Cristina Mormile - Di Giorgio Jean-François - Samurai T10 P. 1
Au bout de la première année, j’ai choisi de me faire un peu plus confiance. J’ai donc changé d’outil et j’ai commencé à encrer au pinceau.
J’ai changé aussi le support du travail, en optant pour le papier Schoeller.
Depuis ce moment-là, je n’ai jamais plus changé de technique, mais j'avoue que ça ne me déplairait pas de devenir une meilleure coloriste, dans le futur. Ce n’est pas pour demain, mais l’idée me trotte dans la tête.
5. Cela fait maintenant plus de 13 ans que vous travaillez sur Samurai. Que vous passionne-t-il le plus dans la série ?
Disons que je suis une grande passionnée du Japon. Pas que des films et de l'esthétisme en soi-même, mais aussi de l’esprit, de la mentalité, de l'élégance, de l’importance des rituels, et aussi de la langue Japonaise, l’écriture les kanjis, tout ça.
Pour mieux comprendre ce pays, j’ai décidé d’apprendre la langue Japonaise, depuis un an et demi. Pas seulement pour insuffler ce que j’apprends dans les personnages que JF crée. Mais parce qu’apprendre le japonais, ça me fait un bien fou, ça me détend vraiment.
6. Qu’est-ce qui vous touche le plus dans le personnage de Takeo ? Avez-vous un lien personnel avec lui ?
Je pense que JF est bien plus lié que moi à Takeo, car c’est un personnage qui est né dans sa tête.
Mais malgré la crainte initiale que j'avais de m'identifier à un personnage préexistant lorsque j'ai commencé cette aventure avec Samurai, j'ai fini par m'y attacher. Je pense qu'au final, dessiner n'est pas si éloigné du jeu d'acteur. De manière peut-être moins directe, il faut se mettre dans la peau d'un personnage et l'habiter, le vivre. Et en plus Takeo est un joli garçon! 😊
© 2025 Soleil - Cristina Mormile - Di Giorgio Jean-François - Samurai T17 P.5
7. Quels sont les éléments du Japon féodal que vous aimez particulièrement représenter ?
Si on parle d'esthétique, j’ai un faible pour les temples, mais aussi pour les kimonos et les festivals typiques japonais.
Si on parle de la culture millénaire de ce pays, je préfère dessiner des scènes rituelles, comme la cérémonie du thé, le seppuku, des scènes évocatrices qui peuvent me permettre de voyager loin tout en étant assis à ma table de travail.
8. L’univers de la série mêlant histoire, spiritualité et légendes. Comment abordez-vous visuellement cet équilibre entre réalisme et onirisme ?
Je pars du principe que toute culture repose sur l'histoire, la spiritualité et les légendes. Dans les cultures modernes, ces deux dernières composantes ont souvent été sacrifiées au profit de la première. Si le Japon est si différent de notre culture, c'est peut-être parce qu'il accorde encore une grande importance à cet univers onirique et fascinant.
© 2025 Soleil - Cristina Mormile - Di Giorgio Jean-François - Samurai T18 P.2
Personnellement, d'un point de vue visuel, je m'inspire toujours des estampes japonaises de dragons et de kami, leur synthétisation, afin que mon dessin ne devienne pas trop froid et excessivement réaliste. J'essaie d'utiliser des lignes assez simples.
9. Avez-vous visité le Japon pour prendre des références pour la série ?
Oui, JF et moi nous y sommes allés en 2024, pour réunir de la documentation, nombreuses photos, visites de temples, de musées, etc…Je suis tombée encore plus amoureuse de ce pays ! J'avais initialement l'idée de photographier à la fois les deux aspects du Japon, l’ancien et le moderne. Mais après avoir visité un temple, mon premier temple, je me suis sentie propulsée dans un monde à part ! J’ai un peu abandonné le coté moderne…
Shōren-in temple, Kyoto - Japon lors d'une visite en 2024
Et j'ai donc passé le voyage à visiter des sanctuaires et des temples. Maintenant, j'ai peur de devoir, pour utiliser toute la documentation collectée, demander à JF d'écrire une histoire se déroulant entièrement dans un temple ! Pas sur qu’il soit d’accord, ni vous non plus d’ailleurs ! 😆
10. Si vous aviez chacun une autonomie complète sur la série et ses personnages, est-ce que vous changeriez quelque chose et si oui, pourquoi ?
Franchement je ne changerai rien du scénario de JF, mais surement je voudrais être plus forte dans mon dessin, pour donner plus encore de charisme aux personnages. J’ai encore beaucoup à apprendre.
11. Comment se passe votre collaboration ? Est-ce que les tâches (scénario, dessin, couleur, etc.) sont partagées où chacun gère de manière autonome son domaine ?
Pour le moment la partie qui me coute le plus, c’est le story board. C’est aussi sûrement la plus créative, la plus fusionnelle. C’est pour cela que j’aime que nous le fassions à deux. A ce moment-là on met tous les deux nos egos au vestiaire et on essaye de faire la meilleure histoire possible. Si nécessaire, JF réécris des séquences pour mieux mettre en valeur mon dessin, et moi je fais la même pour mieux représenter son histoire. Un vrai travail d’équipe !
La chose que je préfère chez JF c’est qu’il demande toujours mon avis sur l’histoire, et sur le chemin de fer qui guide la série. Je peux y glisser des suggestions. Pour moi c’est top de pouvoir discuter avec lui de l’histoire avant de devoir l’illustrer. Ça me permet d’y réfléchir, de mieux m’investir. Et finalement de mieux la dessiner.
Une fois le story board terminé, pour les crayonnées et les encrages je travaille toute seule de mon côté, mais j’ai toujours l’avis de JF sur les crayonnés qu’il regarde avant l’encrage. Il a un œil de lynx, rien ne lui échappe!
Et puis commence l’encrage. Là c’est un vrai travail solitaire, que j'apprécie énormément.
Pour la couleur, avec Lorenzo Pieri on a désormais créé un équilibre très solide. Les indications couleur sont plutôt simples, mais Lorenzo, avec ses pinceaux magiques, ajoute toujours une touche très personnelle. JF et moi on adore le travail de Lorenzo!
A propos de couleurs, sur la série « Samurai Légendes » je vous annonce que vous découvrirez bientôt aussi le travail du nouveau coloriste, Garluk Aguirre. Un travail subtil tout en nuances, dont on vient de recevoir les premières pages.
© 2025 Soleil - Cristina Mormile - Di Giorgio Jean-François - Samurai T18 P. 5
Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus sinon, qu’on est très satisfait du résultat. A vous de juger en octobre.
12. Quel est votre processus habituel de travail sur un album de Samurai, de la lecture du scénario jusqu’à la dernière planche ?
Une fois que JF à trouvé l’idée du nouvel album, on se réunit et il me raconte toute l’histoire d’un jet…Voir des deux tomes, dans le cas d’un dytique.
Cette première approche essentiellement verbale est très importante.
C’est là que je comprends bien sur ce dont va parler la nouvelle histoire, mais aussi quel sentiment je devrais essayer de communiquer sur chaque page.
Une fois cela en poche commence alors mon important travail de tri, de recherche de références dans les centaines de photos du Japon faites lors de mon voyage, ou alors dans les nombreux livres d'armures, d’architecture, etc. que j’ai accumulé au fil des années.
Puis je passe au story-board: celle-là est sûrement la partie la plus difficile, pour moi. JF et moi on se réserve le droit d’intervenir l’un dans le travail de l’autre à ce moment-là. Le story-board est donc la partie la plus créative en absolu, la plus douloureuse mais aussi la plus intéressante !!! Encore une fois, on laisse nos egos au vestiaire. Seule la tête du nouveau bébé qui va sortir compte ! Plus le bébé est beau, plus nous sommes des parents contents ! 😁
Quand cette étape importante est terminée, le story en poche, je passe au crayonné sur papier Schoeller 200 gr super lisse, format A3. Ce n’est pas ma partie préférée mais ça a le mérite de me permettre de mieux travailler les décors ainsi que les expressions des personnages.
Puis, finalement, arrive l’encrage, tout fait au pinceau Winsor & Newton 00. Celui-ci est sûrement le moment que j’aime le plus. J’ai toujours l’impression qu’à travers l’encre noir on puisse “insuffler” de la vie dans des personnages 2D, et c’est une petite magie à chaque fois.
Vidéo de l'encrage sur Instagram
Après ça démarre la partie la plus technique, la seule qu’on puisse définir “numérique”, le scannage de planches et le lettrage avant de tout envoyer à la maison d'édition.
Fin de l'interview et conclusion
Nous remercions Cristina & Jean-François pour cet aperçu en profondeur de la conception d'un album de Samurai et le partage de leur passion pour cet univers et la culture japonaise.
Bonne nouvelle : Samurai reste leur priorité absolue. Pas d'autres projets en vue pour l’instant, tant le rythme est soutenu : deux albums par an, entre série principale et spin-off Légendes. Après plus de treize ans passés au service de Samurai, Cristina Mormile continue de vibrer au rythme des aventures de Takeo. Sa passion pour l’univers japonais, sa rigueur artisanale et sa complicité avec Jean-François Di Giorgio nourrissent une série qui ne cesse de s’enrichir visuellement et narrativement.
© 2025 Soleil - Cristina Mormile - Di Giorgio Jean-François - Samurai T18 Couverture